Une ligne, deux systèmes – courant continu et alternatif sur le même pylône
La construction de nouvelles lignes électriques est un processus de longue durée, susceptible de se heurter à une grande résistance. Par conséquent, il est plus facile d'augmenter la capacité en combinant sur les pylônes existants le courant continu (CC) et alternatif (CA). Que pense la population de ces systèmes hybrides ?
Résumé du projet de recherche « Lignes aériennes hybrides en Suisse ».
En un coup d’œil
Les lignes électriques hybrides transportant à la fois du courant continu et du courant alternatif dans différents câbles sont à même d'augmenter considérablement la capacité de transport du réseau.
Ce système permet d'alimenter le réseau en électricité provenant de l'énergie éolienne et solaire sans pour autant nécessiter de nouvelles lignes électriques.
Une planification optimale des deux systèmes différents sur la même ligne à haute tension permet de réduire la pollution sonore en dessous des limites de tolérance.
Si politiciens, chercheurs et planificateurs instruisent la population concernant les aspects positifs et qu'une campagne misant sur la peur peut être évitée, il y a de fortes chances que les lignes hybrides soient acceptées.
Pour garantir le succès de la mise en œuvre de la Stratégie énergétique 2050, le réseau électrique doit être renforcé, car l'expansion des énergies renouvelables telles que l'énergie éolienne et solaire nécessite des capacités plus importantes au niveau de la transmission de l'électricité. Une possibilité serait la construction de nouvelles lignes. Celle-ci implique cependant de longues procédures d'approbation et fait l'objet d'un grand scepticisme de la part des citoyens. Il serait donc plus simple d'équiper les lignes existantes de manière à ce qu'elles puissent transporter le courant continu aussi bien que le courant alternatif habituel. Cette stratégie permet de combiner les avantages des deux systèmes électriques et d'augmenter la capacité.
Cependant, plusieurs points font obstacle à un tel projet : selon la configuration des câbles électriques, le bruit de crépitement émis par temps pluvieux est susceptible d'être un peu plus fort avec une ligne dite hybride qu'avec une ligne conventionnelle. En outre, on ne sait pas encore si ces lignes hybrides seront acceptées par la population. Ayant soupçonné que la résistance aux lignes hybrides serait inférieure à celle attendue pour la construction d'une nouvelle ligne, des chercheurs de l'ETH de Zurich et de l'Université de Berne ont testé cette hypothèse moyennant un sondage. Si l'hypothèse s'avérait correcte, il serait à l'avenir plus facile de fournir en temps utile les capacités requises.
Deux types de courant différents
Lorsque la construction des réseaux électriques a débuté il y a plus de cent ans, les hautes tensions nécessaires ne pouvaient être atteintes qu'avec du courant alternatif ; raison pour laquelle, aujourd'hui encore, la plupart des lignes de transmission fonctionnent avec le système à courant alternatif. Entre-temps, cependant, il existe des composants électriques capables de produire les tensions nécessaires avec du courant continu, permettant ainsi le transport de courant continu haute tension (CCHT). Ce système présente certains avantages par rapport à la technologie du courant alternatif : le CCHT est par exemple à même de transmettre plus de puissance dans une ligne existante, et les pertes sont plus faibles qu'avec le courant alternatif.
La conversion d'une ligne aérienne existante en système hybride implique l'installation de lignes à courant alternatif d'un côté de chaque pylône et de lignes à courant continu de l'autre. Dans le but de tester les répercussions de ce concept, les chercheurs ont effectué des mesures en laboratoire et sur une ligne expérimentale en plein air. Ils ont mesuré le bruit généré par des décharges partielles et calculé le champ magnétique engendré par le courant. Résultat : en termes de bruit ou d'exposition au champ magnétique, il n'existe pas de différence majeure entre le nouveau système hybride et le système de courant alternatif utilisé aujourd'hui, à condition que la configuration soit adaptée. Les valeurs limites en vigueur ne sont pas dépassées et les répercussions sur l'être humain sont minimales. Les responsables du projet ont réussi à obtenir des fonds de tiers pour trois années supplémentaires d'exploitation du laboratoire en plein air, ce qui leur permet d'effectuer une étude plus approfondie des effets de ce système.
Les chercheurs ont également étudié le dimensionnement des isolateurs pour l'élaboration des nouvelles lignes et la stabilité du réseau en cas de court-circuit. Des expériences sur des isolateurs en présence de courant soit continu soit alternatif montrent que les normes existantes pour les isolateurs CA et CC conventionnels sont suffisantes. En outre, les mécanismes de protection actuels sont à même de gérer les courts-circuits ou les pannes sur des lignes équipées de grands redresseurs. Le réseau de distribution n'est pas menacé par de telles pannes d'alimentation.
Acceptation par la population
L'avantage décisif des lignes aériennes hybrides est qu'elles permettent de transporter plus d'électricité tout en évitant la construction de nouvelles lignes ; fait qui, selon les chercheurs, devrait accroître l'acceptation par la population. Pour vérifier cette hypothèse, les scientifiques ont mené une enquête auprès d'environ 1300 personnes sélectionnées de manière représentative. Les répondants ont été divisés en quatre groupes : soit un groupe ayant reçu des informations négatives au sujet des lignes aériennes hybrides, un deuxième auquel a été fourni de l'information positive, un troisième ayant reçu à la fois les informations positives et négatives, et un quatrième privé d'informations.
De manière générale, les personnes interrogées ont qualifié de gênantes les lignes électriques aériennes. Un phénomène intéressant a cependant été observé : plus les lignes sont proches d'une habitation, moins les habitants la trouvent incommodante. Les principaux critères de rejet cités par ces personnes sont les risques potentiels pour la santé, suivis par la dégradation du paysage et le bruit audible. Les personnes vivant à proximité immédiate d'une ligne électrique aérienne ont déclaré de façon disproportionnée qu'elles ne se sentaient pas indisposées par celles-ci.
En ce qui concerne les lignes aériennes hybrides, il a été constaté que l'information disponible joue un rôle crucial dans la manière dont les gens évaluent les lignes. En l'absence d'informations, 61 % sont prêts à accepter les lignes hybrides. L'information positive, à savoir que les lignes hybrides sont indispensables pour fournir la capacité requise à l'avenir, porte le taux d'approbation à 75 %.
Inversement, une information négative postulant que les lignes hybrides sont potentiellement plus audibles et mieux perceptibles pour une personne se tenant juste en dessous d'elles a conduit à une acceptation par seulement un tiers environ de la population. Un taux d'approbation très similaire a été observé dans le groupe ayant obtenu les deux types d'informations. Les chercheurs en concluent que l'information négative l'emporte sur l'information positive. Ce résultat souligne que la population doit être renseignée le plus rapidement possible sur cette nouvelle technologie, afin qu'elle puisse se faire une idée de la situation. En effet, l'acceptation est très volatile, surtout dans la phase initiale, et est donc susceptible de donner lieu à des campagnes négatives pouvant intensifier les craintes diffuses. Toutefois, les craintes réelles doivent être prises au sérieux. La population doit être informée des risques éventuels et de la manière dont ils sont abordés et traités.
Selon les chercheurs, il est en outre judicieux d'attirer l'attention sur les alternatives, en l'occurrence la construction de nouvelles lignes aériennes. Cette information devrait conduire à un taux d'acceptation élevé pour les lignes hybrides. Un autre moyen d'accroître l'acceptation est d'éliminer autant que possible les incertitudes et les inconvénients. Pour les lignes hybrides, il s'agit donc de réduire au mieux les nuisances telles que le bourdonnement et les champs électromagnétiques, idéalement à un niveau inférieur à celui des anciennes lignes aériennes à courant alternatif.